Caroline Lamarche, Canopée de la voix
Quitter la rue bruyante, pousser une lourde porte de fer, traverser une cuisine au carrelage d’un luisant de miroir, longer une cour-jardin dont la canopée vous frôle quand la fenêtre est ouverte, parvenir enfin, au bout du corridor, à ce grand espace presque vide avec son piano droit. Se coucher, marcher, poser le front sur un ballon, s’asseoir entre les pans d’un rideau comme dans une petite chambre, se tenir en équilibre sur un plateau de bois, tenter, en l’état, un enchaînement vocalique. Sans hâte ni complexes. En abandonnant la fatigue, le stress, les soucis.
Rien n’est grave, quelqu’un vous attend. La femme qui vous donne ces consignes étranges. Elle est là où vous voulez venir ou ne pas venir, foncer ou paresser, elle vous mène où votre voix se niche, est débusquée, sort comme l’oiseau surpris de retrouver le ciel, de monter droit et haut, sans manières, sans projet, juste monter après avoir descendu et, ce faisant, n’avoir pensé à rien d’autre qu’à des muscles, un plexus, la circulation de l’air, l’articulation des voyelles et comment ça résonne dans cet espace vaste et clair, pointillé de silences à peine troublés par la rumeur de la ville. Quel est ce calme au cœur de la folie du monde ? Il ressemble au jardin de cette femme vigoureuse, foisonnant de belles plantes affamées de lumière, si fortes qu’elles me font penser à ce que je deviens au fil de mes visites.
Dans le corridor, entre deux portes, nous nous croisons, multiples : comédiens, orateurs, chanteurs, et les inévitables vous et moi, venus pour prendre de la force, du plaisir et une bouffée de paix. De séance en séance, quelque chose se met en place, de bonnes habitudes : ne plus retomber dans ses réflexes étroits, marcher plus net, ample et léger, convaincre par un timbre généreux et, à défaut de le conquérir, prendre le monde avec soi. Accessoirement on se passera désormais de kiné ou d’antidépresseur. Car le dos y trouve son compte, la nuque, les viscères, les poumons évidemment, et bien entendu le moral, sans oublier le cœur, ce muscle qui bat en métronome quand le doigt sur le piano plaque une note, une deuxième, et qu’on suit en chantant, le sang vous fouettant les veines, l’énergie au plus vif, là où ça dormait ça fourmille, c’est l’éveil, le printemps. Et puis après, de retour dans la rue, tout vous fait battre le cœur, justement, comme si quelqu’un avait lavé le paysage, devenu brillant et comme neuf.
C’est simple, le bonheur. C’est cinquante minutes qui se prolongeront dans vos gestes futurs. C’est choisir une chanson, joindre au plaisir des mots une limpidité retrouvée, approcher la justesse. C’est sentir, au fil des exercices, cette fine mécanique, ce corps intelligent que je peux à ma guise faire bouger, résonner, encourager, et qui laisse passer l’impalpable : l’air, l’émotion, la décision à prendre, le courage de poursuivre.
Caroline Lamarche,
en hommage au travail de Marcelle De Cooman
© Marie-Françoise Plissart